L’exposition « Mauvaises Graines » organisée à l’Espace Topographie de l’art réunit neuf artistes dont le travail questionne notre rapport à la nature, et s’interroge sur la place de l’état sauvage face au monde actuel.
Le lien entre l’homme contemporain et la nature semble ne plus être, comme définitivement rompu. L’homme est comme un étranger dans un environnement qui ne lui correspond plus. Comme si les seules traces qui restaient de l’homme étaient archaïques, païennes ou magiques, réminiscences d’un temps très lointain et mythique. Nous cherchons à reproduire un lien avec cette nature fantasmée d’un autre âge, où la terre et son cycle perpétuel de création et de destruction était encore de l’ordre du sacré. Chacun des artistes invités, est en quête de cet imaginaire archaïque.
Edouard Baribeaud :
L’exploration des paysages par Edouard Baribeaud entre en résonnance avec le dessin primordial. Révélateur d’oppositions intrinsèques, il rapproche la rue et la nature, l’art pariétal et le graffiti et créé ainsi des ponts spaciaux-temporels. Il y a une forme de panthéisme dans son approche de la nature qui devient quête philosophique, et un traitement elliptique de l’histoire. Le paysage devient vecteur universel des histoires parallèles de l’humanité. « Le propre de la rêverie poétique (…) est de dépasser les oppositions, de concilier les contraires, de faire passer le lointain dans le proche, le passé dans le contemporain. Il s’agit de créer un univers intemporel et universel entre la réalité et l’imaginaire introduit par l’artiste. »
Sebastian Gögel :
Les dessins de Sebastian Gögel entraînent le spectateur dans le labyrinthe du psychisme humain. Ses sujets sanguinaires et radicaux sont peuplés de créatures mythologiques ou hybrides et de protagonistes monstrueux qui fascinent par leur précision impitoyable et leur affreuse beauté. Son univers sinueux se construit sur la contradiction, « l’or et la merde ». Toujours sur le fil acéré de la contradiction, Gögel parle ainsi de ses créatures : « Les démons sont une bonne métaphore pour les complications, les divisions, l’écartèlement des relations avec les hommes, le bien est le mal. Mais les démons ou les monstres sont aussi des costauds qui te guident à travers l’épaisseur de l’obscurité. Ce sont tes protecteurs. »
Stéphane Pencréac’h :
Auteur d’une peinture freudienne et tragique, Pencréac’h nous invite à entrer dans la danse macabre d’éros et thanatos. Ancré dans un passé où il fétichise les grands peintres de l’antiquité, son univers est imprégné de fantasmes inconscients.
Dérangeante et cathartique, l’œuvre de Pencréac’h cherche à réactiver dieux païens et personnages mythologiques. Expérimentateur subversif de la toile, ses approches techniques évoquent rites occultes et incantations oubliées. « (…) L’art ancien (…) faisait dans l’émotion pour faire passer de la morale. Et l’art contemporain, qui se veut d’une liberté totale, reproduit la morale ambiante, le fascisme chic de l’époque. Il est le lieu qui réunit ceux qui ne veulent que l’illusion d’un combat. Le temps du “ceci est de l’art” doit finir, il faut être capable maintenant de dire : “Ceci n’est pas de l’art.” »
Chloé Poizat :
Le monde étrange de Chloé Poizat est constitué de paysages improbables habités par autant de spectres, de monstres ou d’animaux démesurés. Nous sommes en train de basculer du rêve au cauchemar, en pleine phobie archaïque. Certaines de ses oeuvres donnent une place plus importante aux éléments minéraux du paysage. L’artiste s’inspire notamment des paysages d’illusion et des parcs à fabriques créés au 18e siècle où l’on donnait l’illusion d’être dans un véritable paysage, à l’aide de grottes ornementales ou rochers artificiels, hors de tout environnement réellement naturel. En pleine tradition du sublime, Poizat réactive ce « plaisant sentiment d’horreur », mélange de grotesque et de sublime cher aux romantiques. L’introduction de ces créatures grotesques est symbolique d’une rupture entre l’homme et la nature. Ici l’homme retrouve difficilement sa place dans l’espace naturel.
Tami Ichino :
Tami Ichino marque par une recherche incessante les relations qu’elle peut avoir avec le monde des objets. En partant d’une observation minutieuse des choses qui l’entourent et qu’elle intègre à ses peintures et dessins, elle met en place un univers dans lequel le temps est suspendu par une tension dramatique, par quelque chose de l’ordre d’une inquiétante étrangeté. Légère, fugitive et en mouvement, sa peinture ne cherche pas à fixer de signification ni à charger de symbolisme, elle est comme en suspens. Tel un nuage à l’abandon, se laissant porter et modeler par les vents.
Hélène Muheim :
Les paysages dessinés par Hélène Muheim semblent ne jamais avoir existé, comme s’ils étaient l’assemblage d’éléments épars de la mémoire et du temps. Elle dessine ce qui n’est plus que le souvenir nostalgique d’un lointain passé, les reliquats d’un monde toujours fantasmé, songe d’un paradis perdu. Le paysage semble être un organisme vivant en perpétuelle mutation, s’assouplissant et se contorsionnant comme si tous les éléments le constituant étaient un seul et même voile. À la fois sombres et magnétiques, les dessins d’Hélène Muheim nous permettent d’entrevoir les démons, les esprits et la magie qui ont en tout temps habité nos forêts; comme un rappel, pour ne pas oublier.
Eric Winarto :
Les paysages d’Eric Winarto transfigurent des catastrophes passées ou en cours (invisibles ou en suspens), qui bouleversent l’ordre établi. L’artiste cherche alors à réorganiser harmonieusement ce chaos. Il découle de cette rencontre de la beauté et de la violence une quasi-abstraction de la nature, comme dans la série ‘Blacklight Selva’. « Blacklight Selva est avant tout une forêt mythique. Ce n’est pas seulement un paysage d’ombre et de lumière, de contre-jour, que j’essaie de représenter. Selva est tiré de la Divine Comédie qui parle justement du labyrinthe de notre expérience de vie. Plus j’avance avec ce mot Selva, plus le thème de la forêt transcrit une expérience philosophique qui touche l’énigme de l’existence. C’est une forêt métaphysique. »
Anaïs Ysebaert :
Chez Anaïs Ysebaert on aperçoit le bruissement d’un autre monde, territoire invisible, qui semble exister au-delà du vivant. Une peinture fantasmée qui éclot dans une douce obscurité, dont émanent de mystérieuses vibrations. Forêts aux arbres décharnés, aux troncs brûlés, cette végétation quasi-animale prend forme au milieu d’une terre stérile, ravagée par tant de catastrophes. Le traitement par la brûlure qu’elle inflige à son support se répercute sur le sujet, entrant en résonance directe avec son dessin. Véritable obsession de l’origine, son œuvre nous transpose dans le monde du souterrain et du nocturne.
C.N. Jelodanti :
Ce duo d’artiste est fasciné par les traces, les empreintes laissées par la nature. Face à leur peinture, le spectateur se retrouve souvent en proie aux forces de la nature, notre arrêt de mort est signé. La nature veut se déchaîner et nous rappelle à notre état de pauvres chairs. A tout instant on peut passer de vie à trépas. Cette mince frontière est un thème majeur du travail de Clara Djian et Nicolas Leto. La frontière qui unit et qui sépare, le trait blanc sur fond noir, la séparation jusqu’à la rupture, le plein du pochoir et le creux de la découpe, la vie et la mort, l’avant et l’après, le positif et le négatif, le noir et le blanc.