Dans le cadre de la 36e édition du Festival d’Automne à Paris.
« Où sommes-nous ? » s’articule autour de plusieurs travaux photographiques et vidéos présentant un travail critique sur la production d’images et sur certaines « réalités libanaises ». Ainsi, l’installation « Distracted Bullets » montre 5 vues panoramiques de Beyrouth, filmées durant des festivités où abondent feux d’artifices et tirs de joie. Devant nous, la ville s’enflamme. Ces célébrations religieuses ou politiques montrent la division du pays, chaque événement se tenant dans des quartiers distincts, illuminant chaque fois la ville sous un angle différent, certaines régions se réjouissant plus que d’autres. La vidéo laisse ainsi deviner une géographie politique et sociale complexe. Mais d’où viennent toutes ces armes à feu ? Et combien de personnes qui ont survécu aux guerres civiles périssent victimes de balles perdues ? On tente de connaître leur nombre mais elles ne sont recensées nulle part.
Que retient l’Histoire ? Que transforme-t-elle en évènement? Et que peut l’image dans tout cela ?
C’est ce qu’interroge aussi l’installation photographique «… un lointain souvenir ». En 2001, les 34 poteaux de la grande avenue de Ouzai, un quartier populaire de la banlieue chiite de Beyrouth, ont été photographiés et recensés, du nord au sud, recto verso. Chaque poteau est orné de cadres, chaque cadre accueille une photo, celle d’un jeune homme, un « martyr ». Certains cadres sont vides, comme en attente de photos à venir. En 2007, les 34 poteaux de la grande avenue de Ouzai ont été repeints, l’avenue restaurée, mais les photos de 2001, que sont-elles devenues ? Que sont devenus les « héros » des guerres anciennes ? Quelle est la mémoire de l’Histoire ?
Cette question est également posée autour d’un ancien camp de détention, Khiam, situé au Sud Liban. Jusqu’à la libération du camp en mai 2000, il était impossible de s’y rendre, nous n’en avions aucune image. Après son démantèlement, le camp a été transformé en musée. Lors de la dernière guerre de juillet 2006, le camp a été totalement détruit. En le visitant, nous sommes surpris d’abord par l’ampleur des dégâts mais également par la mise en scène déjà déployée autour de cette destruction. Au milieu des ruines surgissent des panneaux en acier portant des photos qui représentent le camp avant sa destruction. Ils sont posés au milieu des nouvelles ruines et transforment le camp détruit en lieu d’exposition. Cela crée une confusion et une juxtaposition temporelle étonnante que nous interrogeons dans l’installation photographique « Les panneaux de Khiam ». Ce dispositif questionne notre position de spectateur, ce que nous voyons, notre rapport à l’image, à sa mise en abyme.
La série photographique « Trophées de guerre » montre des véhicules militaires abandonnés à la libération du Sud en 2000 et qui faisaient l’objet d’une exposition au camp-musée de Khiam quand ils ont été détruits par cette nouvelle guerre de 2006. Ils apparaissent ainsi pathétiques, étranges, dénonçant les mécanismes de ces guerres. Ils opèrent un glissement temporel, ils sont les indices d’une guerre précédente, les témoins d’une nouvelle. Il est question aujourd’hui de reconstruire le camp de Khiam détruit. Mais peut-on reconstruire un camp de détention ? Quel sens cela a-t-il ? Enfin, comment faire Histoire, mémoire, si face au passé, nous ne faisons pas le deuil mais recouvrons la ruine d’une image d’une autre image, une temporalité par une autre, une réalité par une autre….
Extrait d'un entretien entre les artistes et Jean-Marc Prévost.
Inspecteur à la délégation aux arts plastiques au Ministère de la Culture et de la Communication.