La dominante dans le travail de Horst Haack se trouve dans son questionnement sur les rapports entretenus entre texte, image et support. Depuis ses études en peinture à la Hochschule für bildende Kunst à Berlin dans les années 60, des croquis et des annotations se côtoient déjà dans ses livres d’esquisses. Cela aboutira à la création d’un journal personnel à la fois écrit et imagé dont les principes de construction se mettront toujours en cause lors de l’élaboration de ses oeuvres. Au fur et à mesure que cette attitude se développe, elle va extrapoler les limites de l’objet «livre» pour atteindre des formes de présentation autres qui questionnent non seulement le rapport texte-image, mais aussi leur appréhension en fonction du support.
Chronographie Terrestre (Work in Progress) est une oeuvre réalisée depuis les années 80 et toujours en cours aujourd’hui. De nos jours, l’ensemble de l’oeuvre comporte plus de six mille feuillets mesurant 22 x 17 cm, où l’artiste enregistre des images et des notes qui traduisent sa perception sur différents sujets actuels. Ces images sont élaborées à partir de dessins, aquarelles, gouaches ou «Transfer Drawing»1. Cette dernière technique a comme point de départ la photocopie d’une image que Haack pose dans le sens du cliché et qu’il frotte par derrière avec de l’acétone afin de provoquer le décalque du motif sur la page. Les notes qui l’accompagnent sont rédigées de sa propre main en trois langues: allemand, anglais et français. Ces divers feuillets peuvent être rassemblés au nombre de trente par ordre chronologique et encadrés par la suite sous forme de panneaux mesurant 225 x 54 cm pouvant être présentés individuellement ou réunis afin de former les parois d’une structure cubique évoquant un labyrinthe. Une autre forme de présentation de ces feuillets est la série des Blow ups. Ce sont en effet l’agrandissement de certaines de ces images sur des feuilles mesurant 145 x 112 cm.
Dans Chronographie Terrestre (Work in Progress) de Horst Haack nous pouvons constater la recherche de cet artiste sur les ingénieux liens qui se tissent entre texte et image. Haack reconnaît qu’il n’existe pas d’un côté le texte et d’un autre l’image. Tout texte lu suscite une image ainsi que tout image perçue évoque un texte. Ce sont deux opérations concomitantes. De plus, aucun texte n’a sa propre image, ainsi qu’aucune image n’a son propre texte. Comme nous rappelle J.-L. Nancy «image et texte sont les deux saintes espèces d’une même présence retirée. Les deux aspects, les deux faces offertes à l’oeil du corps et à l’oeil de l’esprit pour une absence de face, pour un sens absent sans valeur faciale»2. Et à lui d’ajouter que lorsque « le texte et l’image sont aussi bien chiasmés l’un sur l’autre, ou bien le texte se distingue au fond de l’image et celle-ci oscille à sa surface, ou bien l’image se distingue entre les lignes du texte et celui-ci oscille de part et d’autre»3. Pour cet auteur, c’est dans ce va-et-vient que surgit l’«absent» qu’il nomme «oscillation distincte», et qui constitue «la fente parfaite, définitive et délicieuse à laquelle toujours se reconnaît la vérité nue»4.
Adon Peres