Les notions réunies autour du concept d’exploration - voyage, examen et approfondissement - se retrouvent dans les travaux des artistes suisses rassemblés dans cette exposition. Si leurs œuvres sont liées à l’expérience du déplacement et du dépaysement, elles ne se cantonnent cependant pas à un territoire précis. Elles parcourent un domaine beaucoup plus large et abstrait qui est celui de la photographie. En effet, dans chaque travail exposé, nous constatons une analyse et un développement des différentes possibilités offertes par ce média.
Les photographies de la série Les chambres ont été réalisées par Jean-Jacques Dicker dans les années 70 lors d’un voyage en Afrique. Le photographe a fixé dans la pellicule ces chambres qui lui ont servi de place de repos pendant ses haltes au cours de son périple. A peine rentré dans une de ces chambres, l’artiste cherchait à saisir le sentiment qu’il a ressenti en ouvrant la porte. Dans une interview, Jean-Jacques Dicker avoue: « J’ai du plaisir à photographier ces chambres, de savoir qu’elles seront miennes pour toujours, capturées sur un miraculeux morceau de film. Peut-être plus tard, en les regardant après beaucoup d’années, je me souviendrai mieux d’elles… ».1
L’ Agence de voyage Aller/Re-Tour de Fabiana de Barros & Michel Favre prend son départ dans une vidéo que Fabiana de Barros enregistre en 1987 montrant un avion qui survole une carte du monde. Par la suite, lors de la Biennale de São Paulo au Brésil en 1994, une performance a lieu où le spectateur et l’artiste développent un entretien évoquant celui établi dans une Agence de voyage. A ce moment-là, Michel Favre, cinéaste, décide de filmer ces rencontres. En 1996, les deux artistes réalisent à partir des images du film une série de photographies intitulé Résistances dans laquelle les étapes importantes de la performance sont racontées par des pictogrammes élaborés en fil incandescent. Dans cette série de photographies, prises au moment de la brûlure de ces fils, le caractère vivant de la performance ainsi que celui figé du souvenir coïncident.
Les photographies de Vera Röhm appartiennent à une série entamée lors de son voyage en Inde en 1995. Dans une photographie mesurant 50 x 50 cm, nous voyons l’ensemble du complexe constituant l’Observatoire de Jaïpur. Dans deux autres, cette fois-ci mesurant 240 x 240 cm chacune, apparaît le détail d’un des instruments astronomiques, le Jai Prakas Yantra, qui sert à observer les constellations et le mouvement des corps célestes. En jouant sur l’échelle de ces deux œuvres, une petite et une autre monumentale, Vera Röhm incite le déplacement du spectateur en arrière et en avant. La réaction habituelle de se rapprocher d’une œuvre pour voir le détail et de s’éloigner pour saisir le tout est ici renversée. Cette démarche caractérise toute l’oeuvre de Vera Röhm où l’attention portée à un élément particulier mène à une abstraction qui peut contenir l’essentiel.
Les œuvres de Jean-Jacques Dicker, de Fabiana de Barros & Michel Favre et de Vera Röhm incluent dans leur démarche les notions de mouvement, de réflexion et de dépassement par rapport à un événement précis. Entre la prise de vue et la concrétisation du travail, ces artistes ajoutent un autre composant à la capacité de la photographie de garder une empreinte. Cet élément est décisif car il transforme la fixité du souvenir en “devenir” qui se manifeste au fur et à mesure que leurs oeuvres se construisent et qu'elles sont confrontées à l’observation d’un spectateur.
Adon Peres