Dans le cadre de la 32e édition du Festival d’Automne à Paris.
Pour l’élaboration de ces œuvres, Chen Zhen fait souvent recours au concept intitulé par lui même de « Transexpériences ». Dans une auto-interview, dont un fragment est ci-dessous reproduit, l’artiste expose quelques fondements de ce concept :
Zhu Xian : Comme le temps file ! Dix ans ont passé, le temps d’un éclair. Je me souviens qu’à la fin de l’année 1986, à l’époque où tu allais partir pour la France, je te demandais pourquoi à « l’âge de l’établissement » tu en étais encore à quitter ton pays natal et à devoir refaire ta vie dans un nouveau pays. N’était-il pas un peu tard pour repartir à zéro ? Tu m ‘avais répondu « Eh bien, j’improviserait simplement le moment venu ! » Cela fait dix ans déjà que tu es parti et que tu as zou-é (voyagé) dans plusieurs pays. Comment te sens-tu maintenant ?
Chen Zhen : Le mot « zou » est un mot miraculeux. Si quelqu’un pouvait vraiment comprendre tout au long de sa vie ce qu’il représente, il atteindrait le royaume du « Zhong Che Zhong Wu » (niveau intermédiaire de compréhension et niveau intermédiaire d’entendement). « Aller par monts et par vaux », « faire de longues marches », « ne pas verser une larme avant d’avoir vu le cercueil » (ne jamais s’arrêter de chercher avant d’avoir vu la face sombre de la réalité), et même « rester à l’écart du monde », toutes ces expressions ont quelques chose à voir avec le concept « zou ». Bien sûr, je voulais plutôt parler d’une « fuite spirituelle ».
Zhu Xian : « Une fuite spirituelle » ?
Chen Zhen : Parfaitement. « Une fuite spirituelle ». C’est l’expérience la plus profonde qu’on puisse connaître dans la vie. On doit apprendre à sortir de son « cocon », et être assez courageux pour « rompre avec soi-même » et « abandonner son propre contexte culturel ». Le proverbe chinois dit « l’âme a quitté son abri », ce qui symbolise un stade critique où la créativité a atteint son zénith. L’expérience du « zou » et l’enthousiasme lié à un travail créatif font partie du même réseau d’expériences. Bien entendu, « la fuite spirituelle » va avec une recherche de la solitude. Ces dernières années, « la recherche de la solitude, l’ouverture et le voyage » ont été des points de repère qui m’ont permis de « zou-er » et vivre.
Zhu Xian : Si tu voulais maintenant résumer en une phrase, ou même en un mot, quelles ont été pour toi les expériences du « zou », que dirais-tu ?
Chen Zhen : « Transexepériences ». En chinois on peut dire aussi « Rong Chao Ying Yan ». C’est une sorte de « fusion/transcendance des expériences ». Il n’existe pas de mot équivalent en anglais ou en français, mais le préfixe « trans » contient le sens de « en croisant », « à travers », « au-dessus et au-delà », « transfert », « sur », « de l’autre côté de », etc. Si l’on juxtapose ce préfixe avec le mot « expérience » et si on l’utilise au pluriel, on invente un mot nouveau, qui résume de façon vivante et profonde les expériences complexes que l’on vit quand on quitte son pays natal et qu’on va de pays en pays. Le plus étonnant, c’est que ce préfixe est très proche du mot « zou » dont on vient de parler.
Zhu Xian : Si je comprends bien, pour toi, le mot « transexpériences » représente la maîtrise holistique et la compréhension des relations réciproques entre les différentes périodes et les différents évènements d’une vie, qui se caractérisent par des activités qui se superposent et se déplacent. D’autre part, en termes de dissemblance entre « soi » et « les autres », les « transexpériences » pourraient être un nouveau « concept » mettant en lumière les qualités personnelles d’un individu et de son identité ?
Chen Zhen : Pas seulement. Les « transexpériences » représentent aussi un concept artistique. Ce n’est pas un concept « purement conceptuel ». C’est plutôt un concept « impur » dont on fait l’expérience, une façon de penser et une méthode de création artistique qui permet de faire le lien entre ce qui précède et ce qui suit, de s’adapter aux circonstances, d’accumuler des expériences aux cours des années et d être sur le qui-vive à chaque instant. De plus , ce concept particulier dont on fait l’expérience suppose de s’immerger dans la vie de se mélanger aux autres et de s’identifier à eux.On sent ici l’influence du mouvement chinois qui, pendant l’ère Mao, consistait à « faire l’expérience de la vie ». Ainsi, pendant plusieurs années, j’ai consacré une grande partie de mon temps et de mon énergie à essayer de communiquer avec le monde extérieur en tâchant d’utiliser mes rudiments de français d’anglais. Au seuil du 21e siècle, je pense que l’art va pouvoir faire la preuve de sa vitalité au travers des contacts, d’échanges, de malentendus et de conflits entre les personnes et la société, entre les personnes et la Mère Nature, entre les personnes, la science et la technologie, entre les continents et entre les groupes ethniques. Ainsi les « transexpériences » ne sont pas seulement les voies que j’emprunte pour développer mon travail, elles me permettent aussi d’ entrer en contact avec tous ces réseaux.
Entretien entre Zhu Xian et Chen Zhen.