L’exposition « Au-delà de l’architecture : construction-déconstruction-régénération » réunit des artistes internationaux intéressés par l’architecture et les processus de construction, de destruction et de régénération qui s’y manifestent. Elle se tient sous l’égide de l’artiste Gordon Matta-Clark qui, dans les années 1970, s’est rendu célèbre pour ses coupes de bâtiments abandonnés ou voués à la démolition. Une vidéo garde aujourd’hui le souvenir de la coupe en forme de cône qu’il effectua dans un immeuble jouxtant le Centre Pompidou, alors en construction (Conical Intersect, 1975). À la même époque, Vera Röhm s’avère fascinée par les chantiers de réfection des immeubles anciens du quartier du Marais, notamment par les étaiements, ces imposants contreforts de bois qui en recouvrent les façades sur toute la hauteur. Chaotique en apparence, l’imbrication de ces étaiements obéit à une logique constructive qui a inspiré à l’artiste une importante série de photographique (Etaiements, 1977, 1992, 2011).
La sculptrice Katalin Deér considère l’architecture en mêlant à la pratique photographique celle de la sculpture pour donner naissance à des constructions plastiques qui esquissent des parentés plastiques inattendues (Present things, 2009). Chez Vincent Ganivet, le dialogue avec l’architecture s’établit à travers l’édification de structures de caténaire de béton dont l’équilibre tient à la reprise audacieuse de principes architecturaux tels que la clef de voûte. Défiant véritablement les lois de construction, ces réalisations qui jouent de forces statiques et dynamiques, menacent à tout moment de s’écrouler, de passer de l’ordre construit à l’ordre chaotique.
Il en va de même des reliefs de Boris Tellegen qui se confronte à la paroi murale en oscillant entre une volonté de construire et de détruire : résultant de la superposition de plans géométriques en proie à des déchirements et à des lacérations, ces reliefs définissent des territoires abstraits et fragmentés. L’impression de dureté et de fragilité qui en émane renvoie aux espaces chaotiques des villes post-industrielles.
Ces territoires délaissés sont précisément ceux qu’arpente Simon Boudvin, dans lesquels il voit les stigmates d’une société en faillite, ceux des catastrophes naturelles et sociales qui la mettent à mal, ou plus simplement les traces d’un temps révolu (CERCLE 02 -Thann - , photographie, 2010). Outre des photographies, ces formes abandonnées offrent à l’artiste un répertoire visuel à partir duquel il réalise des œuvres insolites comme les Tectoèdres (2013), sortes de sculptures à l’aspect très minimaliste exécutées avec une poussière issue d’un tamisage de gravats collectés sur un chantier de démolition.
Le principe de régénération, terme que l’on emploie ici non pas dans son acception strictement scientifique, mais plutôt pour exprimer l’idée de renaissance organique, est particulièrement mis en lumière par le projet des « Structures Productives » conduit par Nicolas Floc’h depuis 2011. Ce dernier nous confronte aux architectures de béton aménagées dans les fonds sous-marins afin de revivifier la faune et la flore (Structures productives, récif Artificiel,-31m, Portugal, 2012).
Apparenté au courant de « l’architecture-sculpture » dans les années 1960-1970, Gérard Singer fait ainsi émerger de l’espace urbain des sortes de concrétions plastiques qui, par leur aspect primitif, évoquent pleinement le monde des origines et l’idée de régénération (Déambulatoire d’Evry, 1976).
Quant au photographe Jan Kempenaers, qui s’intéresse à la coexistence du naturel et de l’artificiel, il s’interroge avec la série des Spomenik (2007) sur l’héritage des monuments communistes érigés sous le régime de Tito dans l’ex-Yougoslavie. Réduits à des coquilles vides, dépossédés de toute fonction et de force vitale, condamnés à s’écrouler, les Spomeniks se situent désormais davantage du côté de l’entropie que de celui de l’utopie.
Ainsi, les œuvres présentées dans l’exposition « Au-delà de l’architecture : construction-déconstruction-régénération » abordent l’architecture, ses systèmes constructifs, son rôle fonctionnel ou symbolique pour traiter de questions qui lui sont inhérentes telles que celles de l’ordre et du chaos, du durable et de l’éphémère, de l’abandon et du devenir, de l’oubli et de la mémoire. Qu’il s’agisse de photographies, de vidéos, de sculptures, de constructions ou de reliefs, ces réalisations, relevant parfois d’une forme d’archéologie, proposent des perspectives et des points de vue sur le monde moderne qui nous conduisent à réfléchir sur notre relation à celui-ci.
Domitille d’Orgeval, docteur en Histoire de l’art, a été commissaire associée de l’exposition « Dynamo un siècle de lumière et de mouvement dans l'art : 1913-2013 » qui s’est tenue aux Galeries nationales du Grand Palais en 2013. Spécialiste de l’art abstrait de l’après-guerre, elle a participé comme auteur à de nombreuses expositions parmi lesquelles François Morellet, Réinstallations (Centre Georges Pompidou, mars 2011), Vasarely/Tribute (Musée d’Ixelles, 2013), Robert Delaunay, Rythmes sans fin (Centre Georges Pompidou, octobre 2014) et Sonia Delaunay (Musée d’art moderne de la Ville de Paris, octobre 2014).