L’image fixe, l’image unique en d’autres termes, l’Image photographique, se suffit elle encore à elle même aujourd’hui ?
Toutes les théories ont été soulevées, étudiées, l’assujettissement de l’image photographique au réel n’est plus … si on peut le résumer aussi vite et si c’est vrai. Le réel est quoi qu’il en soit une donnée composite de la dimension photographique. La photographie ne reproduit pas, mais travaille avec, avec le réel, quel que soit son genre, généré par des sels d’argent ou par pixélisation. L’image photographique se sert d’un mécanisme, d’une boite, d’un peu de chimie ou d’informatique, elle est déjà dans sa propre réalité, celle de sa génération. Mais l’image de l’image, ce qu’elle donne à voir au-delà de sa matérialité n’a rien de réel. C’est une reconstitution, une représentation une mise en scène du réel.
Déconstruire permet de faire émerger de nouveaux enjeux. Déconstruire, c’est isoler les problèmes afin de pouvoir les traiter et revenir aux origines. Dans le cas d’une perception fragmentée, le sujet, alors, n’est plus unifié.
La fragmentation c’est des petits bouts mis bout à bout qui forment un nouveau tout. La perception de la vie n’est-elle pas une succession de fragmentation ? La question qui se pose alors, pourrait être, comment les rassembler ? Quoi faire de ces informations qui semblent disséminées.
Le fragment n’a pas seulement un rapport à sa forme, mais pose un certain nombre de questions dans son rapport perceptif au monde qu’il entretient.
Combiner plusieurs images entre elles, oblige notre regard à passer de l’une à l’autre et de l’une sans l’autre, créant un dialogue. Ce dialogue est fait de mouvements et de manques. L’image devient séquence et la séquence devient narrative. La notion de continuité ne se trouve plus dans l’image elle-même, mais dans ce vide que représente l’intervalle entre les images, dans les faux raccords, comme l’exprime Gilles Deleuze, faux raccords qui sont la condition de l’Ouvert.
Les artistes Joan Fontcuberta, Vera Lutter, Eric Rondepierre, Isabelle Le Minh, Laurent Millet, Alain Fleischer, Christiane Feser, Pol Bury, Catherine Rebois, Julien Lombardi et les robots de la Nasa, chacun à sa manière, et c’est bien là tout le sens de cette exposition, envisage cette déconstruction et ces retournements de façon singulière qui soulèvent bien des interrogations.
C'est à l'américain Eadweard Muybridge et au français Étienne Jules Marey que revient l'invention de la séquence photographique. C’est donc à la science et a la recherche sur la représentation de la durée et du temps que l’on doit les premières publications connues sous le titre "La Machine animale" en 1873 d’Étienne Jules Marey. C’est en 1881, Eadweard Muybridge publie un album de reproduction photographique intitulé "The Attitudes of animals in motion", qui fait la somme de ces recherches sur la décomposition.
Une chronologie qui n'est pas sans évoquer celle du défilement cinématographique et qui sera nommée chronophotographie.
Les artistes, qui présentent ici leur travail, portent un écho contemporain sur cette question qu’est la déconstruction et la fragmentation. Elle est en lien avec leurs sujets, bien sur, et la forme accompagne ce souci réflexif propre à la photographie et sur la photographie elle même.
Leurs œuvres nous interpellent car elles re-jouent l’histoire.
Catherine Rebois
Extrait du catalogue de l’exposition « Déconstruction photographique »
1- Gilles Deleuze, L'image-mouvement, Paris, Minuit, 1983, p.45.