BRUIT ROSE
Dans la courte nouvelle Kews Garden (1919), Virginia Woolf décrit la vie d’une plate- bande fleurie du point de vue d’un escargot. On y trouve notamment cette description extraordinaire : « La lumière tombait sur le dos gris et lisse d’un galet, ou bien sur la coquille d’un escargot striée de veines brunes circulaires ou encore, se piégeant à l’intérieur d’une goutte de pluie, en emplissait si intensément de rouge, de bleu et de jaune, les parois fines que l’on s’attendait à les voir céder et disparaître. » La goutte d’eau n’éclatera jamais et emprisonnera au contraire le monde en son cœur, avec ses couleurs, ses bruits et ses reflets d’airain, dont elle se remplira comme un ventre. Une goutte sur le dos d’un escargot et qui contient le monde ? C’est une définition assez juste de ce que renferme l’exposition Bruit Rose.
Le tout de l’art et de la musique est contenu à travers les œuvres de cette douzaine d’artistes qui ont en commun non seulement d’être, pour la plupart, des dessinateurs, des peintres et des musiciens, mais surtout d’entretenir un rapport direct mais altéré au réel. L’art est bien entendu toujours une représentation altérée du monde, par la sensibilité, la force de la représentation ou les a priori de l’artiste, mais de David Lynch à Alison Flora en passant par Nils Bertho et Anne-Sophie Le Creurer on a cette sensation que l’écran (la paroi de notre goutte d’eau du début) qui filtre et contient la lumière et les bruits du monde occupe, chez ces artistes, une double fonction qui consiste à l’enchanter et à l’humaniser.
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Extrait du texte de Benjamin Berton